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Clément Rosset,
L’Anti-Nature

Un livre important : l’idée de nature peut être considérée comme une des principales « ombres de Dieu », sinon comme le principe de toutes les idées contribuant à « diviniser » l’existence (et à la déprécier ainsi en tant que telle).


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L’idée de nature apparaît comme un des écrans majeurs qui isolent l’homme par raport au réel, en substituant à la simplicité chaotique de l’existence la complication ordonnée d’un monde.

Nombre de philosophes depuis l’Antiquité se sont attachés à définir la notion de nature. S’inscrivant dans cette longue tradition, Clément Rosset reprend l’opposition entre nature et artifice[1]Clément Rosset définit l’artifice, non pas comme ce qui serait « artificiel » (au sens de « fait de main humaine » par opposition à « naturel ») mais comme ce … Voir plus, analyse les philosophies artificialistes, des Sophistes à Hobbes, puis les philosophies naturalistes, de Platon à Rousseau. Il termine en soulignant l’actualité philosophique du naturalisme et les aléas modernes de l’idée de nature. D’une certaine manière, la conclusion de ce livre est de présenter l’artifice comme vérité de l’existence et l’idée de nature comme erreur et fantasme idéologique.

Clément Rosset (1939-2018), philosophe et écrivain, est auteur entre autres de La philosophie tragique (PUF, 2005 [1960]), Schopenhauer, philosophe de l’absurde (PUF, 1993 [1967]) et Le Réel et son double (Gallimard, 1993 [1976]).

 

Couverture de L'anti-nature de Clément RossetClément Rosset, L’Anti-Nature. Éléments pour une philosophie tragique, coll. Quadrige, Presses universitaires de France, 2004 [1973]

 

 

 

 

 

 

 

 

Avant-propos de Clément Rosset à L’Anti-Nature

« Quand en aurons-nous fini de nos soins et de nos précautions ! Quand cesserons-nous d’être obscurcis par toutes ces ombres de Dieu ? Quand aurons-nous complètement « dédivinisé » la nature ? Quand nous sera-t-il enfin permis de commencer à nous rendre naturels, à nous « naturiser », nous hommes, avec la pure nature, la nature retrouvée, la nature délivrée ? » : telle est la question posée par Nietzsche à la fin d’un aphorisme du Gai savoir[2] Aphorisme 109, tr. A. Viallatte, Gallimard. qui décrit la réalité à la fois comme infra-rationnelle et transcendant toute interprétation, c’est-à-dire étrangère par définition à toutes les idées qui auraient pu la prendre pour prétexte (vie, finalité, ordre, nécessité, harmonie, loi). À cette question sera proposée ici une réponse ainsi conçue : l’homme sera « naturisé » le jour où il assumera pleinement l’artifice en renonçant à l’idée de nature elle-même, qui peut être considérée comme une des principales « ombres de Dieu », sinon comme le principe de toutes les idées contribuant à « diviniser » l’existence (et à la déprécier ainsi en tant que telle). Jour qui n’a nulle chance, au demeurant, de jamais advenir : l’illusion naturaliste étant apte à se recomposer un visage nouveau chaque fois qu’il advient à l’un de ses masques de tomber en désuétude.

L’idée de nature – quel que soit le nom sous lequel elle se trouve, variant avec le temps, une propice occasion d’expression – apparaît comme un des écrans majeurs qui isolent l’homme par rapport au réel, en substituant à la simplicité chaotique de l’existence la complication ordonnée d’un monde. À cet égard, sa fonction essentielle n’est pas tant d’être un cadre « naturaliste » que de servir, de manière générale, de cadre : de figurer une instance pérenne propre à consoler l’homme qui s’y croit plongé de ne figurer lui-même qu’une instance fragile et négligeable, et de ramasser pour ce faire le divers en un système qui, psychologiquement parlant, assure à l’homme un entourage aussi rassurant que la présence d’une mère. Présence dont rien ne signale que l’homme contemporain soit, plus qu’en d’autres temps, disposé à abandonner les secours : tout au contraire, on pourra remarquer que l’idéal naturaliste, loin d’avoir été attaqué par le progrès des « lumières », n’a jamais tenu une place plus prépondérante que dans la sensibilité moderne, qu’il caractérise depuis le dix-huitième siècle — et ce, en dépit de l’influence passagère qu’a pu exercer l’œuvre d’isolés, tel Nietzsche. Montrer la présence toute-puissante de l’idéologie naturaliste dans la plupart des courants de pensée modernes, qui prétendent pourtant parfois se passer de l’idée de nature et l’abandonner aux rêveries d’un siècle défunt (le dix-huitième), sera ainsi une incidente occasionnelle de l’étude présente (cinquième partie). Etude dont le propos plus général est de retrouver, dans la frontière entre l’artifice et la nature, le vieux débat qui oppose l’approbation inconditionnelle de l’existence à son acceptation sous réserves de justification : l’idée d’un « monde comme artifice » renvoyant essentiellement à une extase devant le fait, celle d’un « monde comme nature » à une demande préalable de droit.

 

N.B. La notion de hasard ayant été l’objet de développements dans une étude précédente, nous avons jugé fastidieux pour le lecteur de revenir sur un ensemble de distinctions proposées par ailleurs, et avons pris le parti d’utiliser ici ce mot sans autre précision.

 

 

Table des matières du livre

 

AVANT-PROPOS

PREMIÈRE PARTIE
LE MONDE COMME NATURE

CHAPITRE PREMIER. — Le mirage naturaliste
CHAPITRE II. — Nature et religion

DEUXIÈME PARTIE
LE MONDE COMME ARTIFICE

CHAPITRE PREMIER. – Le monde dénaturé
CHAPITRE II. – Les émergences de l’artifice
CHAPITRE III. – Esthétique de l’artifice
1 – Pratique naturaliste de l’artifice
2 – Pratique quasi artificialiste
3 – Pratique artificialiste

TROISIÈME PARTIE
PHILOSOPHIES ARTIFICIALISTES

CHAPITRE PREMIER. – Esquisse historique
CHAPITRE II. – Empédocle
CHAPITRE III. – Les Sophistes
CHAPITRE IV. – Les Atomistes de l’Antiquité
CHAPITRE V. – Machiavel
CHAPITRE VI. – Baltasar Gracian
CHAPITRE VII. – Hobbes

QUATRIÈME PARTIE
PHILOSOPHIES NATURALISTES

CHAPITRE PREMIER. – Platon
CHAPITRE II. – Aristote
CHAPITRE III. – Cicéron
1 -– Cicéron et la philosophie
2 – La nature selon les Stoïciens
3 – La nature selon les Epicuriens
4 – La nature selon les Péripatéticiens et les Néo-Académiciens
5 – Conclusion
CHAPITRE IV. – Pline l’Ancien
CHAPITRE V. – Rousseau

CINQUIÈME PARTIE
LE PRÉSENT D’UNE ILLUSION

CHAPITRE PREMIER. – Actualité philosophique du naturalisme
CHAPITRE II. – Les aléas modernes de l’idée de nature
1 – Le naturalisme conservateur ou la mystique de la falsification
2 – Le naturalisme révolutionnaire ou la mystique de la répression
3 – Le naturalisme pervers ou la mystique de la transgression
CHAPITRE III. — Conclusion : l’être et le tragique

ÉLÉMENTS DE BIBLIOGRAPHIE CRITIQUE

1 – Sur l’idée de nature
2 – Sur l’artifice et le hasard
3 – Sur la philosophie ancienne
4 – Sur la philosophie moderne

On peut consulter le livre ici : https://www.cairn.info/feuilleter.php?ID_ARTICLE=PUF_ROSSE_2011_01_0329

et ici : https://www.cairn.info/l-anti-nature–9782130585435.htm



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    Notes et références

    Notes et références
    1 Clément Rosset définit l’artifice, non pas comme ce qui serait « artificiel » (au sens de « fait de main humaine » par opposition à « naturel ») mais comme ce qui est contingent, le fruit soit du hasard, soit de la volonté humaine – qu’il ramène également à une contingence) [nde].
    2 Aphorisme 109, tr. A. Viallatte, Gallimard.

    Clément Rosset (1939-2018), philosophe et écrivain, est auteur en particulier de La philosophie tragique (1960), L’Anti-Nature (1973) et Le Réel et son double (1976).