Dénaturaliser ne suffit pas :
critique de la « nature » et perspectives de lutte
Est-il possible de construire un concept non dualiste de nature, qui ne s’oppose pas à la culture, à la société ou à la raison ? Dans cet article, Mona Gérardin-Laverge considère que attaquer la naturalisation demande de construire des conceptions alternatives de la nature qui partent des liens et des relations d’interdépendance qui existent entre nos formes de vie, nos milieux de vie et d’autres êtres vivants, pour inventer des modes de vie nouveaux, plus justes.
Cet article a été publié dans Retour vers la nature ? Questions féministes, dirigé par Katia Genel, Jean-Baptiste Vuillerod et Lucie Wezel (Le Bord de l’eau, 2020). Nous remercions chaleureusement l’autrice, les éditrices et la maison d’édition de nous avoir autorisé à le publier ici.
- Introduction : un geste féministe inaugural
- I. L’argument de la nature pour justifier l’oppression
- II. La naturalisation comme légitimation idéologique d’un rapport matériel d’exploitation
- III. Dénaturaliser sans laisser la nature de côté ?
- Conclusion : « Nous ne défendons pas la nature, nous sommes la nature qui se défend[1]Slogan souvent mobilisé par des luttes environnementales contemporaines, qui font le lien entre la défense de l’environnement et la lutte contre le capitalisme, et qui passent par l’occupation … Voir plus
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Introduction : un geste féministe inaugural
La dénaturalisation de l’inégalité et des rapports sociaux de sexe constitue l’un des gestes inauguraux de certains féminismes. Le terme de « féminisme », dans son sens positif et revendicatif, est une réappropriation politique d’un terme médical naturalisant, qui désigne la pathologie d’hommes que la maladie aurait « efféminés[2]Comme le rappelle Caroline Fayolle, le mot « féminisme » apparaît au début des années 1870, dans la thèse de médecine de Ferdinand-Valère Fanneau de La Cour, Du féminisme et de … Voir plus » : dans son étymologie même, le féminisme entretient ainsi un rapport conflictuel avec la naturalisation du genre. Des féministes matérialistes[3]Pour Wittig, par exemple : « Quand on analyse l’oppression des femmes avec des concepts matérialistes et féministes, on détruit ce faisant l’idée que les femmes sont un groupe … Voir plus comme Colette Guillaumin, Christine Delphy ou Monique Wittig au féminisme queer de Judith Butler[4]Qui propose, dans Trouble dans le genre, une dénaturalisation non seulement du genre, mais du sexe et de l’hétérosexualité. (Butler Judith, Trouble dans le genre, traduit de l’américain par … Voir plus, les théories féministes sont nombreuses à avoir fait de la dénaturalisation un de leurs principaux objets[5]Comme le dit Elsa Dorlin, les théories féministes se définissent par le fait qu’elles ne travaillent pas seulement sur la délimitation naturel/social mais sur les « postulats » et les … Voir plus. La critique de la justification de la domination par la nature est encore plus ancienne : on la trouve chez des philosophes « proto-féministes[6] Cette expression renvoie aux féministes antérieures à l’usage politique du terme par Hubertine Auclert. » comme François Poullain de la Barre ou Olympe de Gouges, qui s’opposent à l’idée d’une inégalité naturelle entre les hommes et les femmes qui devrait se traduire sur le plan social et politique[7]On trouve, chez Poullain de la Barre notamment, une analyse de la manière dont le social fabrique ce qui nous apparaît comme une différence naturelle. Cf. Dorlin Elsa, « Autopsie du sexe », … Voir plus.
Problème n°1 : qu’est-ce que dénaturaliser ?
« Dénaturaliser » est une forme verbale construite à partir du terme « nature ». Mais de quelle « nature » s’agit-il ? La réponse à cette question n’est pas évidente puisque le concept de « nature » peut avoir des sens différents, voire contradictoires : la « nature » peut être un espace naturel, l’essence d’une chose, l’objet des sciences naturelles, etc. On peut la concevoir comme une matière passive sur laquelle on agit, un environnement avec lequel on interagit, ou un domaine séparé dont il faut préserver la radicale différence, sur lequel il faut se garder d’agir. Vouloir « dénaturaliser » implique donc d’avoir préalablement précisé ce qu’on comprend comme « nature ».
Problème n°2 : La naturalisation est-elle (encore) le vrai problème du féminisme ?
D’après Razmig Keucheyan, l’essentialisme et le naturalisme ont pris de nouvelles formes aujourd’hui, faisant perdre de leur pertinence aux analyses critiques et constructivistes traditionnelles[8]Keucheyan Razmig, « Comment peut-on être constructiviste ? Sur le constructivisme dans les sciences sociales », in Keucheyan Razmig et Bronner Gérald, La théorie sociale contemporaine, … Voir plus : Keucheyan parle d’une certaine « routinisation » de la pensée critique. Les théories critiques n’ont-elles pas perdu de leur pertinence et de leur acuité en se contentant de déployer systématiquement le même argument (« ce n’est pas naturel mais socialement construit ») concernant un nombre croissant de phénomènes, et en ignorant les recompositions récentes des discours réactionnaires ?
C’est en tout cas l’avis de Donna Haraway qui, dans le Manifeste cyborg, met en évidence le fait que la séparation radicale de la nature et de la culture n’est plus d’actualité : d’après elle, nous vivons l’époque du « cyborg[9]Haraway Donna, Manifeste cyborg et autres essais : sciences, fictions, féminismes, traduit de l’américain par Marie-Hélène Dumas, Charlotte Gould et Nathalie Magnan, Paris, Exils, … Voir plus », dans laquelle l’humain n’est plus pensé comme un règne ontologique à part, distinct de l’animal et de la machine, et dans laquelle l’interaction de l’organique et du biologique avec le social, les sciences et les techniques apparaît comme une évidence. L’hétérosexisme et le racisme ne se fondent plus sur des arguments naturalistes ou biologiques, ces arguments paraissant aujourd’hui « irrationnels[10] Ibid., pp. 50-51. ». Pour cette raison, les analyses féministes qui se consacrent à déconstruire les rhétoriques anciennes de naturalisation font une erreur stratégique, et ne sont pas pertinentes pour lutter contre l’oppression aujourd’hui[11]Haraway parle ainsi des « failles les plus importantes de l’analyse féministe qui a fonctionné comme si les dualismes hiérarchiques et organiques qui président au discours … Voir plus.
Pourtant, le récent retour en force de discours homophobes d’extrême-droite (de la Manif Pour Tous aux discours de Donald Trump ou Jair Bolsonaro) et de rhétoriques « anti-genre » et anti-féministes[12]Pour une analyse de ces rhétoriques et des formes variées qu’elles peuvent prendre, voir le numéro de GLAD! Revue sur le genre, les sexualités et le langage consacré à ces questions : … Voir plus, la prégnance de discours masculinistes associant le féminisme à un mouvement contre-nature[13]Sur le masculinisme, voir par exemple : Collectif Stop masculinisme de Grenoble, Contre le masculinisme : guide d’autodéfense intellectuelle, Lyon, Bambule, 2013 et Lefort Étienne, … Voir plus, et l’apparition d’« alterféministes[14]Voir Delaporte Lucie, « Entre alterféminisme et antiféminisme, la droite tâtonne », in Mediapart, 12 février 2018 [En ligne], consulté le 5 septembre 2018. URL : … Voir plus » d’extrême-droite qui attaquent les études de genre, affirment l’existence d’une nature féminine définie par la maternité, et s’opposent à la contraception et à l’avortement comme à des aliénations « technolâtres » du corps féminin, attestent de la permanence de discours naturalisants sur le sexe, les sexualités et les rapports sociaux.
Le naturalisme paraît ainsi très loin d’avoir perdu toute influence et toute force aujourd’hui. Sans ignorer ses recompositions, et l’apparition de rhétoriques réactionnaires d’un autre type, il reste important d’affûter nos discours antinaturalistes et d’aiguiser notre attention pour reconnaître l’argument de la nature sous les différentes formes qu’il peut prendre, en analysant les éléments qui le composent (par exemple, les idées de nécessité, de déterminisme, d’animalité, de finalité, de norme, de santé) et les usages contradictoires qui peuvent en être faits.
I. L’argument de la nature pour justifier l’oppression
La tentative de justifier l’ordre social par le fait qu’il serait fondé « en nature » peut prendre différentes formes, selon la manière dont on conçoit la nature et ce qui, dans la société, est fondé sur la nature.
A. La nature : des sens divers voire contradictoires
Les représentations de la nature ont une histoire. Faire l’histoire des conceptions de la nature montre que la notion de nature renvoie à des phénomènes divers, voire contradictoires : si le concept de nature n’a pas un sens univoque, il est, en revanche, toujours pris en tension entre des représentations hétérogènes. Il y a, par exemple, une tension entre les notions de nature comme cosmos et comme chaos. Il y a une tension entre l’extériorité radicale de la nature (assimilée à des espaces sauvages et inquiétants, miroir inversé de la civilisation et de la culture) et l’idée selon laquelle elle constitue la matière de notre activité culturelle (elle est l’objet de l’activité scientifique, le matériau de la technique et de l’art). Il y a une tension entre la nature comme « origine perdue » et la nature comme « environnement » et « milieu de vie ». Il y a une ambivalence récurrente entre deux valeurs contradictoires associées à la nature, comme fondamentalement pure, bonne, authentique, vertueuse ou comme profondément amorale, voire immorale. Le concept de nature a ainsi été systématiquement pris en tension entre des représentations diverses, voire contradictoires. Comment interpréter ce phénomène ?
B. De la nature à la naturalisation
Faire l’histoire des conceptions de la nature permet de mettre en évidence que la nature est une notion construite, qui dépend de nos cadres socio-culturels. C’est une première étape, qui permet de déplacer le regard, de la nature comme entité supposée à laquelle des discours contradictoires se réfèrent, aux usages qui sont faits de la notion. Cela conduit à déplacer la question, et à ne plus chercher ce qui est « naturel », mais ce qui est conçu comme tel, construit comme « nature », c’est-à-dire « naturalisé ».
Mais qu’est-ce qui, parmi les phénomènes sociaux, peut être construit comme nature ? Selon les discours, ces phénomènes varient : cela peut être les groupes sociaux (1), les rapports sociaux (2) ou les pratiques (3).
1) Concernant les groupes sociaux, les considérer comme « naturels » peut consister à dire que les groupes sociaux existent naturellement (1.1), ou que certains groupes sociaux sont plus « naturels », plus proches de la nature que les autres, qui sont eux plus proches de la culture (1.2).
2) Concernant les rapports sociaux, on peut penser qu’ils sont naturels, donnés, qu’ils existent tels quels dans la nature (2.1), ou bien qu’ils sont la traduction sociale de rapports naturels (2.2), ou bien qu’il existe des rapports naturels qui sont la « matière » rétive travaillée par la culture, contrariée par la société (2.3).
3) Concernant les pratiques, elles peuvent également être considérées comme naturelles (3.1), ou comme la traduction sociale de pratiques naturelles (3.2), ou comme un donné contrarié par la culture (3.3[15]On peut illustrer cette typologie par des exemples de discours naturalisants : 1 : Les groupes sociaux : 1.1 : « Les hommes et les femmes existent dans la nature » … Voir plus).
Cette typologie peut constituer un outil pour analyser les discours naturalisants, en montrant qu’ils peuvent porter sur des phénomènes divers et que, selon les cas, naturaliser peut consister à assimiler à la nature (considérer que certains phénomènes sont naturels), ou à expliquer par la nature (la nature comme ordre introduit une forme de nécessité et de déterminisme qui la constitue en principe d’explication).
Mais ces deux démarches peuvent entrer en contradiction : comment la nature « autre » de la culture et de la société (à laquelle on ramène certains groupes sociaux pour justifier leur domination) pourrait-elle constituer l’ordre nécessaire, expliquant et légitimant notre organisation sociale ?
Cette typologie peut ainsi également constituer un outil pour attaquer les discours de naturalisation, en montrant leur incohérence, leurs contradictions internes. En effet, on voit dans cette typologie que ce qu’est la « nature » n’a rien d’évident, et qu’elle prend différents sens selon le rôle qu’on veut lui faire jouer dans la qualification d’un phénomène. Elle peut être considérée comme le fondement qui détermine et légitime le social ou comme une matière que le social doit travailler et transformer ; comme l’origine de la culture, point zéro de l’histoire humaine, ou comme l’autre de la culture, extérieure à l’histoire humaine et qu’il faut préserver dans sa différence radicale. De plus, on voit que la naturalisation joue de manière contradictoire, puisque selon les cas de figure : tous les groupes sociaux sont naturalisés vs certains groupes seulement sont naturalisés ; les rapports sociaux inégalitaires existent dans la nature vs la société vient corriger des rapports naturels inégalitaires ; les pratiques sociales sont la traduction de pratiques naturelles vs la société doit limiter ou empêcher des pratiques naturelles incompatibles avec l’ordre social. Ainsi, la naturalisation n’est jamais symétrique ni homogène, et l’on tire des conclusions contradictoires du caractère prétendument naturel de certains groupes ou de certaines pratiques. Mais si ces discours sont contradictoires, comment parviennent-ils à se maintenir ensemble, et qu’est-ce qui fait leur force ?
Colette Guillaumin a proposé une analyse très éclairante des usages politiques de la notion de nature[16] Guillaumin Colette, Sexe, race et pratique du pouvoir : l’idée de nature, Paris, Côté-femmes, « Recherches », 1992.. Ses travaux permettent d’expliquer à la fois le maintien de représentations contradictoires de la nature, et comment s’articulent la naturalisation du rapport de domination à la naturalisation d’un groupe social en particulier.
II. La naturalisation comme légitimation idéologique d’un rapport matériel d’exploitation
A. Le « sexage »
Chez Guillaumin, le discours de la nature est pensé comme une idéologie qui vient légitimer les rapports matériels d’exploitation.
Guillaumin propose une histoire de ce qui a été associé, dans l’histoire de la pensée occidentale, à la notion de nature. L’Antiquité, comme l’illustre la physique d’Aristote, a une conception finaliste de la nature. Au XVIIIe, les sciences naturelles, qui cherchent à dégager les lois régissant de manière nécessaire le comportement des êtres naturels, associent à l’idée de nature l’idée du déterminisme, et d’un déterminisme « interne à l’objet lui-même[17] Ibid., p. 56. ». Pour Guillaumin, l’idée d’un déterminisme endogène n’est pas venue contredire ou supprimer l’idée de finalité dans la nature, comme on pourrait le croire, mais s’y superposer.
La coexistence de ces deux représentations de la nature explique qu’un discours de légitimation (prescriptif) puisse prendre la forme d’un discours de la contrainte ou de l’évidence (descriptif). Guillaumin parle de « constat prescriptif » : la description (énoncer la nature des choses et ce qui les détermine) fonde la prescription ; la prescription renforce la description en lui ajoutant une dimension axiologique.
Guillaumin développe une approche matérialiste de la naturalisation des rapports sociaux et des groupes opprimés, comme dimension idéologico-discursive d’une appropriation matérielle d’un groupe par un autre. Selon elle, les catégories de « sexe » et de « race » ont une place à part parmi les catégories sociales, dans la mesure où elles sont considérées comme des catégories « naturelles », fondées sur des différences naturelles et entretenant des « relations naturelles » et immuables. Le naturalisme prétend déduire la relation de l’essence des individu·es, alors qu’en réalité c’est la relation d’appropriation qui produit les groupes et leurs prétendues caractéristiques naturelles. Cette relation est une relation inégalitaire entre deux groupes dont l’un est approprié par l’autre.
Ces relations d’appropriation matérielle sont, selon Guillaumin, l’esclavage et le sexage, rapports de pouvoir dont le racisme et le sexisme sont les faces idéologiques respectives.
Par exemple, les femmes sont appropriées par les hommes, dans la mesure où elles sont dépossédées de leur force de travail et de leur propre corps, qui sont la propriété des hommes en général et d’un homme en particulier, notamment au travers du contrat de mariage. Pour Guillaumin, par le contrat de mariage, le mari est propriétaire du temps de sa femme[18]Guillaumin explique que, dans le contrat de mariage, le temps de la femme appartient à son mari, dans la mesure où, contrairement à un contrat de travail, aucune durée n’est stipulée et où la … Voir plus, des produits de son corps, notamment de ses enfants, et de son corps en tant que tel, avec l’obligation sexuelle[19]Pour illustrer cette obligation dans le cadre du mariage, on peut rappeler qu’en France, jusqu’à l’arrêt de la Cour de cassation en 1990, le « viol conjugal » n’était pas reconnu par … Voir plus.
Sur le plan idéologique, l’oppression, l’appropriation et l’exploitation sont expliquées et justifiées par l’idée de nature. Le sexage est légitimé par une naturalisation qui se joue à deux niveaux distincts mais complémentaires : la naturalisation des groupes et de leur relation inégalitaire ; et une naturalisation spécifique des femmes, considérées comme plus proches de la nature. Dans un cas, la nature constitue le fondement de l’ordre social, un fait « trouvé-là » qui explique l’organisation sociale[20] Sexe, race et pratique du pouvoir, op. cit., p. 131.. Dans l’autre, la nature constitue l’opposé de la société et de la culture, et considérer que les femmes sont plus proches de la nature permet de les exclure du social et du politique[21] Ibid., p. 132.. On pourrait considérer que ces deux conceptions se contredisent, mais en réalité elles vont dans le même sens : identifier les femmes à la nature, et les hommes à la culture, à l’histoire, donc à l’humanité pleine et entière, permet de considérer que la domination humanise les femmes : elle les extrait de la nature pour les « cultiver ».
Ainsi, la naturalisation est une idéologie puissante qui se déploie sur plusieurs tableaux : elle explique l’ordre existant (la nature en est la cause), elle le légitime (la nature en est la raison), et elle décrédibilise a priori toute lutte des dominé·es contre cet ordre en faisant de la politique le privilège des dominant·es[22] Ibid., p. 78.. Par conséquent, elle restreint non seulement les choix et les débats politiques (il y a un niveau, le niveau de la nature, dont on ne peut pas discuter puisque c’est le domaine de la nécessité), mais aussi les sujets politiques, les objets de l’action politique, et les luttes qui pourront être menées.
B. Difficultés
Mais nous sommes alors face à deux difficultés : d’abord, le projet de dénaturalisation pose question. En effet, il est exagérément optimiste de penser qu’il suffit de montrer le caractère non naturel des catégories de sexe et de race pour leur faire perdre de leur réalité ou de leur force structurante sur les rapports sociaux et les vécus. Ce n’est pas parce qu’un phénomène n’est pas naturel mais construit qu’il n’existe pas et n’a pas de force. Eve Kosofsky-Sedgwick ironise sur les féministes universitaires qui s’enthousiasment en découvrant « que l’une ou l’autre des brutales formes d’oppression n’[est] pas biologique mais “seulement” culturelle ! », en s’interrogeant : « Je me suis souvent demandée ce qui constituait la base de notre optimisme quant à la malléabilité de la culture[23] Kosofsky Sedgwick Eve, Épistémologie du placard, traduit de l’américain par Maxime Cervulle, Paris, Amsterdam, 2008, p. 61.. » Si lutter contre l’oppression implique bien d’en montrer le caractère construit, contingent et illégitime, cela ne suffit pas. Il faut aussi analyser ce qui confère sa force structurante à l’ordre social, notamment sur les vécus, et voir comment on peut le déconstruire.
Ensuite, la naturalisation n’est pas un processus univoque ni homogène, et les groupes sociaux opprimés ne sont pas tous naturalisés de la même manière : tous ne sont pas assimilés à la nature, certains au contraire sont rejetés hors de la nature et présentés comme contre-nature. Comme le rappelle Émilie Hache, les lesbiennes, par exemple, ont été « exclues de la nature bien plus qu’elles n’y ont été identifiées[24] Hache Émilie (dir.), Reclaim : recueil de textes écoféministes, traduit de l’anglais par Émilie Notéris, Paris, Cambourakis, 2016, p. 52. » et certaines défendent leur rapport à la nature au lieu de s’en distancier[25]Comme le prônent, par exemple, les lesbiennes séparatistes qui s’inscrivent dans le mouvement de « retour à la terre » des années 1970, et constituent des communautés de femmes en Oregon … Voir plus. Hache inscrit cette défense dans un geste féministe plus global, qui consiste non plus à rejeter l’assignation à la nature, mais à revendiquer et à se réapproprier la notion de nature dans des luttes sociales et féministes. Mais que reste-t-il de la nature, une fois opéré le travail de dénaturalisation ? Faut-il abandonner la notion ? Ou faut-il simplement critiquer certains de ses usages, certains des sens qui lui sont associés ?
III. Dénaturaliser sans laisser la nature de côté ?
On peut répondre à cette question en deux étapes : d’abord, faire une critique radicale du concept de nature qui est utilisé pour légitimer les rapports sociaux (A). À partir de là, chercher à construire une autre conception de la nature, qui ne s’oppose pas de façon dualiste au social, donc qui ne peut plus servir d’argument ou de fondement à l’ordre social (B).
A. Le dualisme nature/logos
La philosophe écoféministe Val Plumwood affirme qu’il ne faut pas s’en tenir à critiquer l’assimilation des opprimé·es à la nature, mais aussi s’attaquer à la dévalorisation de la nature elle-même par rapport à la culture[26] Plumwood Val, Feminism and the mastery of nature, London, Routledge, « Opening out », 1993, p. 1.. En effet, toutes les formes de domination se fondent sur une même structure logique, celle du dualisme hiérarchique : notre culture est construite autour d’un réseau de dualismes[27]Culture/nature ; raison/nature ; mâle/femelle ; esprit/corps ; maître/esclave ; raison/matière ; rationalité/animalité ; raison/émotion ; esprit/nature ; … Voir plus dans lequel le dualisme nature/raison joue un rôle central.
Les caractéristiques du dualisme sont les suivantes[28] Ibid., pp. 48-53. :
– Réduction à l’arrière-plan (« backgrounding ») : le pôle supérieur constitue le pôle inférieur en arrière-plan, qu’il peut utiliser mais dont il ne dépend pas.
– Exclusion radicale : les pôles sont totalement différents, leur différence est de nature et non de degré, et leur séparation est définitive, elle n’est pas ouverte au changement.
– Incorporation : le pôle inférieur est défini « relativement au pôle supérieur comme un manque, une négativité ».
– Instrumentalisme : la relation hiérarchique est présentée comme étant dans l’intérêt des inférieur·es alors que c’est l’inverse, puisque celleux-ci doivent renoncer à leurs propres besoins et intérêts et servir d’instrument ou de moyen pour les fins poursuivies par les supérieur·es.
– Homogénéisation et stéréotype : on considère le pôle inférieur comme homogène, on nie les différences entre les individu·es qui le composent.
La relation occidentale de l’humanité et de la nature est un dualisme, dans lequel la nature est l’arrière-plan instrumentalisé, homogénéisé, défini négativement (comme tout ce qui n’est pas humain) et par exclusion radicale et discontinuité maximale entre l’humanité et la nature[29] Ibid., pp. 69-71..
Mais on rencontre alors une difficulté : si la nature est le pôle inférieur du dualisme nature/logos, comment la production du dualisme peut-elle consister en une « naturalisation » ? En quoi la nature peut-elle constituer la cause ou le ressort de la production du dualisme ? N’est-ce pas incohérent, pour le pôle supérieur, pour le logos, d’être séparé par nature de la nature ?
En réalité, la naturalisation de certaines entités vient au secours de la naturalisation de l’oppression. Dans les discours naturalisants, l’être humain est présenté comme participant de la nature sans y participer : par nature, il échappe à la nature. Il a une nature politique, sociale, historique, il instaure un ordre qui lui est propre et se soumet à ses propres lois. Par contraste, les êtres non humains ne sont pas sociaux par nature, et les êtres humain·es qui sont naturalisé·es ne sont pas sociaux au même titre : illes sont sociaux en devenir (les enfants), illes sont soumis·es à davantage de déterminations naturelles (les femmes), ou leurs sociétés et leurs cultures sont considérées comme plus statiques, moins historiques, ayant peu évolué depuis leur origine (les colonisé·es).
La naturalisation de l’ordre social se fonde alors moins sur l’idée d’une « nature sociale » de l’homme que sur la nature non-sociale de celleux qu’il domine. L’assimilation des groupes opprimés à la nature vient résoudre l’apparente contradiction qu’il y a à fonder le social sur la nature : en dernière instance, c’est parce que les groupes opprimés incarnent la nature, parce qu’ils sont la nature dans tout ce qu’elle a d’irrationnel, d’inhumain et de menaçant, que leur domination est légitime. La naturalisation de l’ordre social se fonde donc ultimement sur la naturalisation des opprimé·es, sur la naturalisation des pôles « naturels » du dualisme. Donc, comme l’a montré Plumwood, sur la naturalisation de la nature elle-même.
Si cette hypothèse est juste, alors « dénaturaliser » l’oppression consiste peut-être moins à remettre en cause la naturalité des phénomènes qu’à contester l’opposition dualiste de la nature et du logos, et à construire une notion de nature qui échappe à cette opposition.
B. « Reclaim nature »
Est-il possible de construire un concept non dualiste de nature, qui ne s’oppose pas à la culture, à la société ou à la raison ?
Pour Plumwood, cela implique de rejeter à la fois l’assimilation des femmes à la nature et des hommes à la raison, l’idée que la nature est inférieure à la raison, et l’idée selon laquelle la nature et la raison s’opposeraient de façon dualiste. Pour cela, elle propose de penser en termes d’« alliance », pour développer « un féminisme écologique critique dans lequel les femmes se positionnent consciemment avec la nature[30] Ibid., p. 21. » et demandent à être « traitées comme aussi humaines et comme appartenant autant à la culture humaine que les hommes » tout en demandant à ce que soit reconnue la continuité de l’identité humaine et de la nature : « Les hommes comme les femmes font partie de la nature comme de la culture[31] Ibid., p. 36. ».
Plumwood oppose un contre-paradigme au dualisme : un concept de « différence non hiérarchique ». Il s’agit de reconnaître des différences entre les êtres, pour ne pas les confondre en un tout homogène, mais sans les hiérarchiser et en mettant l’accent sur les continuités. La différence non hiérarchique s’oppose point par point au dualisme[32] Ibid., p. 60. :
– Contre la réduction à un arrière-plan passif, il s’agit de reconnaître la contribution historique des pôles qui ont été mis à l’arrière-plan, et la dépendance du pôle supérieur à l’égard du pôle inférieur.
– Contre l’exclusion radicale, montrer la continuité entre les êtres.
– Contre l’incorporation, revendiquer des sources d’identité positives et indépendantes pour le pôle infériorisé, et affirmer ses pratiques de résistance.
– Contre l’instrumentalisme, reconnaître le pôle infériorisé comme « un centre de besoins, de valeurs et de fins propres ».
– Contre l’homogénéisation, « reconnaître la complexité et la diversité dans le pôle qui a été homogénéisé et marginalisé ».
Il s’agit donc de construire une conception féministe radicalement anti-essentialiste de la nature dans une perspective de lutte. Hache a proposé une analyse intéressante de ce phénomène dans les luttes écoféministes et les luttes pour la justice environnementale : il s’agit de « reclaim nature ». « To reclaim », c’est à la fois revendiquer et réinventer[33] Hache Émilie (dir.), Reclaim : recueil de textes écoféministes, op. cit., p. 23.. Ce terme ne renvoie pas à un retour en arrière, mais à la réhabilitation et à la réappropriation de quelque chose qui a été détruit ou abîmé. Dans le mouvement de justice environnementale, par exemple, il s’agit de lutter pour l’environnement non pas en tant qu’espace extérieur, séparé et sauvage, mais en tant que milieux de vie dont nous faisons partie, auxquels nos vies sont intimement liées.
Ces luttes ont mis en évidence le fait que les questions environnementales n’affectent pas tout le monde de la même manière. Dans les pays riches, ce sont les populations pauvres et/ou racisées qui subissent les premières conséquences de la pollution[34]Déchets toxiques, pollution de l’eau, etc. C’est ce qu’a mis en évidence par exemple le scandale de Love Canal : dans la banlieue de Niagara Falls aux États-Unis, à la fin des années … Voir plus et des catastrophes naturelles[35] Comme cela a été largement dénoncé pour l’ouragan Katrina à la Nouvelle-Orléans.. À l’échelle internationale, les pays anciennement colonisés sont les premiers à subir les désordres environnementaux causés par le capitalisme[36] La pollution et la déforestation liées à la délocalisation mondialisée de l’industrie et à l’extraction de matières premières, par exemple., et le lien entre exploitation des ressources naturelles et exploitation des populations par de grandes firmes industrielles occidentales y est particulièrement évident.
Dans cette perspective, il est important de dégager une conception de la nature qui relie les luttes écologiques et les luttes sociales. Cela implique de faire la critique d’une certaine écologie qui défend une conception dualiste de la nature. L’historien indien Ramachandra Guha s’est ainsi attaqué à la « deep ecology » de Arne Næss, en montrant que la nature y est pensée comme wilderness, « sauvage et vierge[37]Guha Ramachandra, « Environnementalisme radical et préservation de la nature sauvage : une critique de la périphérie » traduit de l’anglais par Cyril Le Roy in Hache Émilie, … Voir plus », à préserver de toute intervention humaine et avec laquelle les êtres humain·e·s doivent minimiser les contacts pour la maintenir dans sa pureté et son intégrité. Guha met en évidence le caractère colonial de ce concept : il renvoie à un monde prétendument vierge de toute présence humaine, que les colons auraient trouvé en Amérique ; il motive la création de grandes réserves naturelles à destination de touristes riches et blanc·hes dans des pays d’Afrique et d’Asie, que l’on fabrique de toutes pièces en déplaçant de force des populations[38] Ibid., pp. 159-160.. La confusion de « l’environnementalisme » et de la « conservation des terres sauvages » a eu pour conséquence que « les problèmes environnementaux qui ont un impact beaucoup plus direct sur la vie des populations pauvres (pénurie d’énergie, de fourrage et d’eau, érosion des sols, pollution de l’air et de l’eau) n’ont pas été abordés de manière adéquate[39] Ibid. p. 160.. » Contre cette confusion, Ramachandra Guha et Juan Martinez-Allier rappellent que l’écologie n’est pas une problématique de riches occidentaux, mais qu’elle est un objet de lutte actuel des populations les plus vulnérabilisées par le capitalisme et le colonialisme[40]Guha et Martinez-Allier déconstruisent l’idée selon laquelle les pays pauvres auraient des préoccupations « plus concrètes » et « plus importantes » que l’écologie, qui serait … Voir plus : il existe « un environnementalisme clairement articulé dans les pays du Sud[41] Ibid., p. 64. », qui articule la question de la nature à celle de la survie des groupes humains, et à des revendications d’équité et de redistribution.
Les mouvements pour la justice environnementale développent ainsi une conception de l’écologie comme lutte politique et sociale, pour une nature comprise comme notre « milieu de vie ». Comme l’indique Giovanna De Chiro, les militant·es pour la justice environnementale « réinventent la nature[42]De Chiro Giovanna, « La nature comme communauté : la convergence de l’environnement et de la justice sociale », traduit de l’américain par Cyril Le Roy in Écologie politique, op. … Voir plus » parce qu’illes s’opposent à la fois au dualisme hiérarchique de l’idéologie capitaliste et au dualisme maintenu par certains mouvements écologistes. Illes mettent en évidence le lien entre la lutte sociale et la lutte écologique en montrant que le régime de production capitaliste mondialisé met en danger non seulement la planète dans son ensemble, mais leur milieu de vie et leur vie elle-même. Illes ramènent donc « les questions environnementales à la maison, et […] établissent des liens entre la santé des corps humains et la santé des quartiers dans lesquels nous vivons, l’eau que nous buvons, l’air que nous respirons et la nourriture que nous mangeons[43] Ibid., p. 213.. »
Ces différentes luttes ouvrent une voie pour renouveler notre compréhension de la « nature ». Elles répondent aux critiques concernant la pertinence et l’actualité de la dénaturalisation évoquées en introduction : d’abord, elles montrent que le naturalisme traditionnel existe toujours, notamment dans la conception de la nature comme « séparée » développée par un certain discours écologique, et qu’il doit donc encore faire l’objet d’une lutte. De plus, leur conception non dualiste de la nature permet de faire la critique de discours actuels, très contemporains, qui ne sont pas dualistes au sens où l’étaient les discours naturalisants traditionnels, mais qui maintiennent cependant un rapport de hiérarchie et de domination avec la nature dans le cadre du mode de production et de consommation capitaliste.
Conclusion : « Nous ne défendons pas la nature, nous sommes la nature qui se défend[44]Slogan souvent mobilisé par des luttes environnementales contemporaines, qui font le lien entre la défense de l’environnement et la lutte contre le capitalisme, et qui passent par l’occupation … Voir plus
Attaquer la naturalisation demande ainsi de construire des conceptions alternatives de la nature susceptibles de résister à leur réappropriation par un discours dualiste. Ces conceptions alternatives peuvent être construites depuis la mise en évidence des « naturecultures » dans lesquelles nous vivons, des hybridations et des liens déjà existants et qu’Haraway nous invite à faire proliférer[45] Haraway Donna, Manifeste des espèces de compagnie : chiens, humains et autres partenaires, traduit de l’américain par Jérôme Hansen, Paris, L’Éclat, 2010.. Il ne s’agit pas de s’assimiler la nature en montrant que « tout est social » ou que « tout est humain », mais de partir des liens et des relations d’interdépendance qui existent entre nos formes de vie, nos milieux de vie et d’autres êtres vivants, pour inventer des modes de vie nouveaux, plus justes et non hégémoniques[46]C’est la perspective que développe Haraway : dans le Manifeste des espèces de compagnies, elle cherche à élaborer « une éthique et une politique dévouées à la prolifération des … Voir plus.
Cela implique de construire une notion de nature qui renonce non seulement au dualisme nature/culture, mais aussi au singulier du mot « nature ». Comme le dit Haraway, il faut mettre en évidence l’existence de mondes partagés par nous et d’autres espèces, sans pour autant dire que ces mondes sont « communs[47] Ibid., p. 11. ». Il faut prendre acte de l’existence de « cosmologies différentes, de mondes différents, sans hiérarchie entre eux[48] Hache Émilie, « Conflits de mondes » in Écologie politique, op. cit., pp. 19-34 : p. 21. », « passer d’une conception d’un monde unique (“une nature/des cultures”) à des “natures-cultures[49] Ibid., p. 24..” »
Ainsi, dénaturaliser l’oppression et les groupes opprimés demande de dénaturaliser la nature elle-même, et de la considérer comme un concept problématique et hétérogène, renvoyant à des usages, des expériences et des formes de vie irréductibles.
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Notes et références
↵1, ↵44 | Slogan souvent mobilisé par des luttes environnementales contemporaines, qui font le lien entre la défense de l’environnement et la lutte contre le capitalisme, et qui passent par l’occupation et l’habitation d’une « zone à défendre », contestant la séparation entre l’écologie et la vie quotidienne et cherchant à créer de nouveaux modes de vie. |
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↵2 | Comme le rappelle Caroline Fayolle, le mot « féminisme » apparaît au début des années 1870, dans la thèse de médecine de Ferdinand-Valère Fanneau de La Cour, Du féminisme et de l’infantilisme chez les tuberculeux, qui considère que le corps des hommes tuberculeux est pathologiquement féminisé. Après une reprise polémique du terme par Alexandre Dumas fils, qui attaque les hommes favorables à la cause des femmes en les traitant de « féministes », c’est Hubertine Auclert qui revendique positivement le terme comme identité politique. Voir Fayolle Caroline, « Des corps “monstres”. Historique du stigmate féministe » in GLAD! n°4, 2018 [En ligne], consulté le 5 septembre 2018. URL : https://www.revue-glad.org/1034. |
↵3 | Pour Wittig, par exemple : « Quand on analyse l’oppression des femmes avec des concepts matérialistes et féministes, on détruit ce faisant l’idée que les femmes sont un groupe naturel ». (Wittig Monique, La pensée straight, Paris, Amsterdam, 2007, « On ne naît pas femme », p. 43) |
↵4 | Qui propose, dans Trouble dans le genre, une dénaturalisation non seulement du genre, mais du sexe et de l’hétérosexualité. (Butler Judith, Trouble dans le genre, traduit de l’américain par Cynthia Kraus, Paris, La Découverte, 2005) |
↵5 | Comme le dit Elsa Dorlin, les théories féministes se définissent par le fait qu’elles ne travaillent pas seulement sur la délimitation naturel/social mais sur les « postulats » et les « implications idéologiques, politiques, épistémologiques, de cette délimitation. » (Dorlin Elsa, Sexe, genre et sexualités : introduction à la théorie féministe, Paris, Presses Universitaires de France, « Philosophies », 2008, p. 6) |
↵6 | Cette expression renvoie aux féministes antérieures à l’usage politique du terme par Hubertine Auclert. |
↵7 | On trouve, chez Poullain de la Barre notamment, une analyse de la manière dont le social fabrique ce qui nous apparaît comme une différence naturelle. Cf. Dorlin Elsa, « Autopsie du sexe », Les Temps Modernes, n° 619, 2002/3. |
↵8 | Keucheyan Razmig, « Comment peut-on être constructiviste ? Sur le constructivisme dans les sciences sociales », in Keucheyan Razmig et Bronner Gérald, La théorie sociale contemporaine, Paris, PUF, « Quadrige », 2012, p. 78. |
↵9 | Haraway Donna, Manifeste cyborg et autres essais : sciences, fictions, féminismes, traduit de l’américain par Marie-Hélène Dumas, Charlotte Gould et Nathalie Magnan, Paris, Exils, « Essais », 2007, p. 31 : « La fin du XXe siècle, notre époque, ce temps mythique est arrivé et nous ne sommes que chimères, hybrides de machines et d’organismes théorisés puis fabriqués ; en bref, des cyborgs. Le cyborg est notre ontologie ; il définit notre politique. » |
↵10 | Ibid., pp. 50-51. |
↵11 | Haraway parle ainsi des « failles les plus importantes de l’analyse féministe qui a fonctionné comme si les dualismes hiérarchiques et organiques qui président au discours « occidental » depuis Aristote étaient toujours d’actualité. Ils ont été cannibalisés, ou « techno-digérés », comme dirait Zoe Sofia (Sofoulis). » (Ibid., p. 52) |
↵12 | Pour une analyse de ces rhétoriques et des formes variées qu’elles peuvent prendre, voir le numéro de GLAD! Revue sur le genre, les sexualités et le langage consacré à ces questions : GLAD! n°4, 2018 [En ligne], consulté le 5 septembre 2018. URL : https://www.revue-glad.org/916. |
↵13 | Sur le masculinisme, voir par exemple : Collectif Stop masculinisme de Grenoble, Contre le masculinisme : guide d’autodéfense intellectuelle, Lyon, Bambule, 2013 et Lefort Étienne, « Construire les hommes comme des victimes irresponsables », in GLAD! n°4, 2018 [En ligne], consulté le 5 septembre 2018, URL : https://www.revue-glad.org/1048. |
↵14 | Voir Delaporte Lucie, « Entre alterféminisme et antiféminisme, la droite tâtonne », in Mediapart, 12 février 2018 [En ligne], consulté le 5 septembre 2018. URL : https://www.mediapart.fr/journal/france/120218/entre-alterfeminisme-et-antifeminisme-la-droite-tatonne?onglet=full. Dans les alterféministes naturalistes d’extrême-droite, Delaporte cite notamment Eugénie Bastié et Marianne Durano, co-fondatrices de la revue Limite dite d’« écologie radicale ». Marianne Durano, proche du mouvement des Veilleurs et de la Manif pour tous, a un certain succès médiatique. Elle se présente comme une « alterféministe », et affirme par exemple que « [c]ontraception, avortement et PMA sont la Sainte Trinité d’un féminisme technolâtre » et que « [q]uand on s’intéresse aux stéréotypes, aux constructions sociales, on se demande à un moment d’où ça vient. Quand je suis tombée enceinte, je me suis rendue compte que certains étaient fondés. » « J’ai vécu l’instabilité émotionnelle et j’ai mieux compris l’image de la femme hystérique et de l’homme rassurant, stable. » (cité in ibid.) |
↵15 | On peut illustrer cette typologie par des exemples de discours naturalisants :
1 : Les groupes sociaux : 1.1 : « Les hommes et les femmes existent dans la nature » (détermination biologique, chromosomique, physiologique ou hormonale de la différence sexuelle). 1.2 : « Les peuples dits “indigènes” sont plus proches de la nature que les civilisations occidentales ». 2 : Les rapports sociaux : 2.1 : « Les enfants sont naturellement fragiles et faibles. Le rapport de dépendance enfant/parent est naturel ». 2.2 : « Le statut de “mineur” est la traduction juridique et sociale d’une incapacité de nature et du rapport naturel de dépendance de l’enfant à ses parents ». 2.3 : « Le statut de mineur permet de protéger les enfants, naturellement dépendants, des abus qu’illes pourraient subir s’illes étaient livré·es à elleux-mêmes et à la violence des adultes, naturellement plus fort·es. » 3 : Les pratiques sociales : 3.1 : « La pénétration péno-vaginale est le rapport sexuel permettant la reproduction, c’est une pratique naturelle, anhistorique et universelle. » 3.2 : « Les femmes ont un instinct maternel, il est donc normal qu’elles s’occupent davantage de leurs enfants. » 3.3 : « Les hommes ont naturellement plus de pulsions et de besoins sexuels que les femmes. C’est pour cela qu’il y a tant de viols, d’abus sexuels et d’agressions, que la société se doit de combattre. » |
↵16 | Guillaumin Colette, Sexe, race et pratique du pouvoir : l’idée de nature, Paris, Côté-femmes, « Recherches », 1992. |
↵17 | Ibid., p. 56. |
↵18 | Guillaumin explique que, dans le contrat de mariage, le temps de la femme appartient à son mari, dans la mesure où, contrairement à un contrat de travail, aucune durée n’est stipulée et où la femme ne prend pas de congé. C’est d’ailleurs ainsi qu’on peut interpréter le fait que le travail domestique ne soit pas payé : il n’est pas payé parce qu’il n’est pas payable, parce qu’il est acquis une fois pour toutes avec le mariage. Pour tout ce passage : ibid., p. 33. |
↵19 | Pour illustrer cette obligation dans le cadre du mariage, on peut rappeler qu’en France, jusqu’à l’arrêt de la Cour de cassation en 1990, le « viol conjugal » n’était pas reconnu par la loi. Il est toujours très difficile de le faire reconnaître dans les faits : on considère qu’un viol ne peut avoir lieu dans le cadre du mariage, parce que le contrat de mariage implique que l’on consent a priori et en toutes circonstances à avoir des relations sexuelles avec son épouxse. |
↵20 | Sexe, race et pratique du pouvoir, op. cit., p. 131. |
↵21 | Ibid., p. 132. |
↵22 | Ibid., p. 78. |
↵23 | Kosofsky Sedgwick Eve, Épistémologie du placard, traduit de l’américain par Maxime Cervulle, Paris, Amsterdam, 2008, p. 61. |
↵24 | Hache Émilie (dir.), Reclaim : recueil de textes écoféministes, traduit de l’anglais par Émilie Notéris, Paris, Cambourakis, 2016, p. 52. |
↵25 | Comme le prônent, par exemple, les lesbiennes séparatistes qui s’inscrivent dans le mouvement de « retour à la terre » des années 1970, et constituent des communautés de femmes en Oregon (ibid., p. 51). |
↵26 | Plumwood Val, Feminism and the mastery of nature, London, Routledge, « Opening out », 1993, p. 1. |
↵27 | Culture/nature ; raison/nature ; mâle/femelle ; esprit/corps ; maître/esclave ; raison/matière ; rationalité/animalité ; raison/émotion ; esprit/nature ; liberté/nécessité ; universel/particulier ; humain/nature ; civilisé/primitif ; production/reproduction ; public/privé ; sujet/objet ; soi/autre (ibid., p. 2). |
↵28 | Ibid., pp. 48-53. |
↵29 | Ibid., pp. 69-71. |
↵30 | Ibid., p. 21. |
↵31 | Ibid., p. 36. |
↵32 | Ibid., p. 60. |
↵33 | Hache Émilie (dir.), Reclaim : recueil de textes écoféministes, op. cit., p. 23. |
↵34 | Déchets toxiques, pollution de l’eau, etc. C’est ce qu’a mis en évidence par exemple le scandale de Love Canal : dans la banlieue de Niagara Falls aux États-Unis, à la fin des années 1970, des décharges toxiques avaient été créées par les industriels à l’insu de la population. |
↵35 | Comme cela a été largement dénoncé pour l’ouragan Katrina à la Nouvelle-Orléans. |
↵36 | La pollution et la déforestation liées à la délocalisation mondialisée de l’industrie et à l’extraction de matières premières, par exemple. |
↵37 | Guha Ramachandra, « Environnementalisme radical et préservation de la nature sauvage : une critique de la périphérie » traduit de l’anglais par Cyril Le Roy in Hache Émilie, Écologie politique : cosmos, communautés, milieux, Paris, Amsterdam, 2012, pp. 155-170 : p. 157. |
↵38 | Ibid., pp. 159-160. |
↵39 | Ibid. p. 160. |
↵40 | Guha et Martinez-Allier déconstruisent l’idée selon laquelle les pays pauvres auraient des préoccupations « plus concrètes » et « plus importantes » que l’écologie, qui serait une problématique de pays riches. « Cela laisse entendre que les pauvres ne sont pas écologistes soit parce qu’ils ne sont pas assez conscients […], soit parce qu’ils n’ont pas encore (assez) d’argent pour investir dans l’environnement, soit pour les deux raisons à la fois. » (Guha Ramachandra et Martinez-Allier Juan, « L’environnementalisme des riches », traduit de l’anglais par Cyril Le Roy in Écologie politique, op. cit., pp. 51-65 : p. 57). |
↵41 | Ibid., p. 64. |
↵42 | De Chiro Giovanna, « La nature comme communauté : la convergence de l’environnement et de la justice sociale », traduit de l’américain par Cyril Le Roy in Écologie politique, op. cit., pp. 121-153 : p. 138. |
↵43 | Ibid., p. 213. |
↵45 | Haraway Donna, Manifeste des espèces de compagnie : chiens, humains et autres partenaires, traduit de l’américain par Jérôme Hansen, Paris, L’Éclat, 2010. |
↵46 | C’est la perspective que développe Haraway : dans le Manifeste des espèces de compagnies, elle cherche à élaborer « une éthique et une politique dévouées à la prolifération des “relations de partenaires” » (ibid., p. 11), à prendre acte des relations déjà existantes pour construire de nouvelles relations et inventer de nouvelles manières d’être en relation. |
↵47 | Ibid., p. 11. |
↵48 | Hache Émilie, « Conflits de mondes » in Écologie politique, op. cit., pp. 19-34 : p. 21. |
↵49 | Ibid., p. 24. |